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Sortir des stéréotypes pour mieux coopérer en entreprise

  • natachaaubugeau4
  • 18 juin
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 19 juin

Enquête sur un poison invisible qui sabote la performance collective.

Un cerveau sous influence

Tout commence dans le silence de notre cerveau. Un espace où les décisions se prennent souvent avant même que nous en soyons conscients. Daniel Kahneman, psychologue et prix Nobel d’économie en 2002, nous met face à une vérité dérangeante : la plupart de nos jugements sont guidés par ce qu’il appelle le « Système 1 », rapide, intuitif, automatique. L’autre, le « Système 2 », est plus lent, plus réfléchi, mais aussi plus paresseux. Résultat : nous jugeons vite, souvent bien, mais parfois très mal.

 

Dans l’entreprise, ce raccourci peut devenir un piège. Lorsqu’un manager évalue un collaborateur, qu’un recruteur lit un CV, qu’un collègue observe un comportement : le réflexe prime sur l’analyse. Les stéréotypes prennent le pouvoir. Le genre, l’âge, l’origine ou même l’apparence viennent parasiter le discernement. Et personne n’est à l’abri.

Et parfois, l’expérience peut être brutale. Se voir refuser une mission sans raison valable, subir un regard de travers en réunion, ou pire : se faire mépriser, ignorer, par un système qui ne vous voit qu’à travers une image déformée. Mais il est aussi possible d’être reconnu, accompagné, soutenu dans une démarche de transformation. On peut choisir de se faire accompagner, de se faire coacher pour avancer en sécurité, et surtout de déconstruire, avec douceur et exigence, les conditionnements qui nous freinent ou nous blessent. Car si les stéréotypes blessent, le lien humain, la parole partagée et l’engagement des collectifs peuvent réparer.

 

Quand le stéréotype gouverne l’acte

Le stéréotype, c’est cette petite voix intérieure qui nous murmure : « il est jeune, donc instable », « elle est mère, donc moins disponible », « il est senior, donc dépassé ». Une idée reçue partagée par une majorité, véhiculée par la culture, entretenue par nos habitudes mentales. Et quand cette croyance influence une décision, elle devient un préjugé. Quand elle détermine une action, elle devient discrimination.

En 2016, l’Institut Montaigne dévoilait une étude édifiante : deux CV identiques, seul le prénom change. L’un évoque une origine française, l’autre non. Résultat : le premier est convoqué deux fois plus souvent. Une simple consonance suffit à filtrer les opportunités. L’entreprise se prive ainsi, sans le savoir, de profils compétents et diversifiés.

 

La peur de confirmer le regard des autres

Mais que se passe-t-il dans la tête de celles et ceux que ces stéréotypes visent ? Le psychologue américain Claude Steele, professeur à Stanford, a nommé ce phénomène : la menace du stéréotype. Lorsqu’on appartient à un groupe stigmatisé, on sait ce qu’on attend – ou craint – de nous. Et cette tension cognitive suffit à perturber nos performances

En France, les chercheurs Jean-Claude Croizet et Jacques-Philippe Leyens ont poursuivi ces travaux. Deux groupes d’étudiants passent un test. Quand on précise qu’il évalue l’intelligence, les enfants d’ouvriers échouent nettement plus que les enfants de cadres. Mais quand on retire cette indication, les résultats s’équilibrent. Le contexte, le regard supposé des autres, suffit à faire vaciller les capacités réelles.

Dans une entreprise, cela signifie qu’une femme dans un milieu d’hommes, un salarié racisé, un collaborateur porteur de handicap peuvent vivre un double effort : être bon et paraître légitime. À force, cela use.

 

 

Les biais à l’épreuve de l’expérience

Comment démontrer ce mécanisme en dehors du laboratoire ? En l’amenant dans le réel. C’est ce qu’ont tenté Jamy Gourmaud et Marie Drucker dans l’émission « Sommes-nous tous racistes ? » diffusée sur France 2. Une cinquantaine de volontaires, des situations ordinaires, et des résultats saisissants.

Dans une salle d’attente, la majorité s’assoit à côté d’une personne blanche. Lors d’un faux procès, un accusé maghrébin reçoit une peine plus lourde que son homologue blanc. Face à une photo, une femme asiatique en blouse de médecin est décrite comme « douce » ou « discrète ». Même le timbre de voix influe : un conférencier avec un accent africain est jugé moins crédible que le même avec un accent nordique.

Personne ne se veut discriminant. Et pourtant, tout le monde l’est, à l’insu de son plein gré. C’est là toute la force perverse du stéréotype : il opère sans faire de bruit.

 

Quand l’adaptation devient survie

Face à ces injonctions implicites, chacun se débrouille comme il peut. Certains s’assimilent, adoptent les codes dominants, perdent un peu d’eux-mêmes en chemin. D’autres s’autocensurent, se taisent, n’osent plus postuler. Quelques-uns affrontent, au prix de conflits épuisants. Beaucoup finissent par décrocher.

Patrick Scharnitzky, docteur en psychologie sociale et consultant, a travaillé de nombreuses années sur l’impact des stéréotypes dans les organisations. Il appelle ces comportements des « stratégies d’adaptation défensives ». Des mécanismes de protection qui permettent de tenir, mais freinent l’expression du potentiel. Pour l’entreprise, c’est une perte sèche : moins de créativité, moins de participation, plus de turn-over.

 

Sortir du déni, entrer dans l’action

Alors que faire ? La première étape est toujours la même : prendre conscience. Identifier ses propres biais. Les tests de Harvard (IAT – Implicit Association Test), développés par les chercheurs Mahzarin Banaji et Anthony Greenwald, sont un point de départ. Mais c’est le dialogue, la formation, l’expérimentation, le coaching qui permettent un changement durable.

Google, à travers son projet Aristote mené par Julia Rozovsky, a identifié ce qui rend une équipe performante : la sécurité psychologique. L’assurance pour chacun de pouvoir parler sans peur d’être jugé. Dans cette ambiance-là, les stéréotypes reculent. Car ils ne trouvent plus d’oxygène.

Certaines entreprises vont plus loin. Elles anonymisent les recrutements, diversifient les jurys, suivent des indicateurs de diversité, révisent leurs pratiques managériales. Deloitte UK, en structurant ses entretiens avec des grilles neutres, a vu grimper de 26 % la part des femmes en minorités dans les postes à responsabilité.

 

Ce que l’on gagne à déconstruire

Lutter contre les stéréotypes n’est pas qu’une affaire d’éthique. C’est une question de justice, certes, mais aussi de performance. Une entreprise inclusive attire mieux, innove plus, fidélise davantage. Elle anticipe les évolutions sociétales au lieu de les subir. Elle crée les conditions d’un engagement durable.

Et surtout, elle rend possible ce que chacun attend au fond : être vu pour ce qu’il est, et non pour ce que l’on suppose de lui.

 

Une révolution intérieure à mener collectivement

Sortir des stéréotypes ne demande pas de changer qui nous sommes. Mais de mieux comprendre comment nous fonctionnons. C’est un chemin de lucidité, d’humilité, et de courage. En tant que salarié, cela commence par une vigilance sur ses propres réflexes. En tant que manager, c’est un engagement à écouter autrement. En tant que dirigeant, c’est une stratégie à assumer.

 

Car dans un monde qui évolue vite, l’inclusion n’est plus un luxe moral. C’est un levier d’intelligence collective. Et peut-être, la plus belle promesse de progrès pour l’entreprise de demain.

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