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Poser ses limites au travail : et si c’était une force ?

  • natachaaubugeau4
  • 15 sept.
  • 5 min de lecture
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Un mardi matin, Élodie reçoit un mail marqué « urgent » : un dossier à préparer pour la fin de la semaine. Elle en a déjà deux sur le feu. Comme souvent, elle respire un grand coup, sourit poliment et répond « pas de souci ». Sauf que ce « pas de souci » se transforme en soirées rallongées, en stress accumulé, et en cette petite boule dans l’estomac qui ne la quitte plus.

Combien d’entre nous se reconnaissent dans cette scène ? Dire « oui » machinalement, par habitude, par peur de décevoir… jusqu’à ce que la fatigue ou l’amertume nous rattrape. Pourtant, savoir poser ses limites n’est pas un luxe. C’est une compétence. Un art. Et surtout, une ressource pour soi comme pour l’organisation.


Le « non » qui libère

Dans nos entreprises encore marquées par la culture de la performance à tout prix, dire « non » reste suspect. Cela sonne comme de la paresse, un manque de loyauté. Or, c’est exactement l’inverse. Dire « non », c’est choisir où mettre son énergie pour mieux contribuer.

« L’affirmation de soi n’est pas un caprice, c’est une condition de l’équilibre psychologique », rappelle le psychiatre Christophe André. En posant une limite, on ne se retire pas du jeu, on le rend plus clair.


Quand le cerveau sature

Les neurosciences confirment ce que nous ressentons intuitivement. Daniel Goleman, l’un des pionniers de l’intelligence émotionnelle, a montré que l’absence de cadre active l’amygdale, cette petite zone du cerveau qui déclenche stress et réflexes de survie. Résultat : erreurs, irritabilité, fatigue.

À l’inverse, un cadre clair et la possibilité de dire « stop » calment ce mécanisme. Le cerveau peut alors mobiliser ses ressources créatives et relationnelles. Amy Edmondson, professeure à Harvard, parle de « sécurité psychologique » : cet espace où l’on peut dire « je ne sais pas » ou « je ne peux pas » sans crainte de sanction. Les équipes qui en bénéficient innovent plus, coopèrent mieux.


Dire « non », sans casser la relation

Poser une limite ne veut pas dire claquer la porte. C’est tout l’art de la relation. Marshall Rosenberg, créateur de la communication non violente, le dit joliment : « Derrière chaque non, il y a un oui qui cherche à s’exprimer. » Oui à la santé, oui au respect, oui à l’équilibre.

Exemple vécu : lors d’un atelier, un collaborateur a partagé cette phrase qu’il avait testée avec son manager :

  • « Je comprends l’importance de ce projet. En ce moment, je suis déjà engagé sur deux livrables prioritaires. Si je prends celui-ci, il faudra qu’on revoie ensemble les délais. » Le manager a acquiescé. Et, loin de le juger, l’a remercié pour sa clarté.

Poser une limite, c’est donner à l’autre la chance de voir la réalité et de co-construire une solution.


QVCT : quand les limites deviennent une ressource collective

La Qualité de Vie et des Conditions de Travail (QVCT) vise à concilier performance et bien-être. Trop souvent réduite à des actions périphériques (ergonomie, télétravail, sport), elle gagne en puissance lorsqu’on ose toucher à l’organisation du travail.

Et c’est là que poser ses limites devient une ressource collective.

  • Cela prévient les risques psychosociaux : le burn-out se nourrit du « trop ».

  • Cela renforce le pouvoir d’agir : en disant « pas comme ça, mais comme ça », le salarié devient acteur.

  • Cela clarifie les responsabilités : plus de zones de flou, moins de frustrations.

  • Cela nourrit la confiance : si je peux dire mes limites, je peux aussi partager mes idées, mes doutes, mes erreurs.

  • Cela soutient l’engagement durable : mieux vaut un « non » ponctuel qu’un épuisement sur le long terme.

Dans une entreprise que j’ai accompagnée, le simple fait d’instaurer un rituel où chacun pouvait signaler sa charge de travail réelle a changé la donne. En quelques semaines, les tensions ont baissé, la priorisation est devenue plus claire et… les clients étaient plus satisfaits, car les engagements étaient réalistes.


Trois exercices simples pour s’entraîner

  1. Le cercle des ressources :

    Dessinez deux cercles concentriques :

    • Cercle central : vos missions essentielles, vos priorités actuelles.

    • Cercle extérieur : les sollicitations périphériques, discutables ou délégables.

    Cet exercice visuel aide à distinguer ce qui vous appartient vraiment et ce qui peut être négocié collectivement.

  2. Le « non » en trois étapes : reconnaître la demande, exprimer la limite, proposer une alternative.

    Exemple concret : un collaborateur surchargé reçoit une demande supplémentaire. Plutôt que de répondre par un « je ne peux pas », il peut dire :

    • « Je comprends l’importance de ce projet » (reconnaissance).

    • « Je suis déjà engagé sur deux livrables prioritaires cette semaine » (limite).

    • « Nous pouvons voir ensemble comment ajuster les échéances » (ouverture).

    Cette approche, inspirée du modèle DESC (Décrire, Exprimer, Spécifier, Conclure), permet de préserver la relation tout en affirmant ses contraintes.

  3. La grille QVCT : un petit questionnaire collectif (1 à 5) pour évaluer si votre équipe sait poser ses limites. Résultat ? Une discussion constructive et, souvent, un mini plan d’action.

    Évaluez votre équipe (1 = pas du tout vrai / 5 = tout à fait vrai) :

    1. Les missions prioritaires sont claires pour chacun.

    2. On peut parler ouvertement de surcharge.

    3. Dire « non » est accepté sans jugement.

    4. Les managers encouragent l’expression des contraintes.

    5. Nous avons des moments collectifs pour ajuster les priorités.

    6. Une limite posée débouche sur une discussion constructive.

    7. Les engagements pris sont réalistes et respectés.

    8. Chacun se sent autorisé à exprimer ses limites sans crainte.

    Interprétation :

    • Moyenne 4-5 → Bon niveau de maturité QVCT.

    • Moyenne 3-4 → Bases présentes, mais progrès à consolider.

    • Moyenne <3 → Risque élevé de surcharge et de non-dits : agir vite.

    Cet outil simple peut servir de point de départ à un plan d’action collectif (clarifier les priorités, instaurer des rituels de régulation, former à la communication assertive).


Et si c’était du leadership ?

Le paradoxe est là : poser ses limites n’est pas seulement une affaire individuelle, c’est aussi un acte de leadership. Le manager qui ose dire « nous devons prioriser » ou « je ne peux pas tout prendre » montre qu’il est possible d’être engagé sans s’épuiser. Il autorise son équipe à faire de même.

Comme l’écrivait Paul Ricoeur : « Se respecter soi-même, c’est déjà respecter l’autre. » En entreprise, cette phrase devient un véritable mantra.


Conclusion

Poser ses limites, ce n’est pas se retirer du jeu. C’est au contraire y participer pleinement, avec lucidité et respect. C’est une compétence qui protège, qui clarifie, qui libère. Une compétence qui, bien au-delà de l’individu, nourrit la santé des équipes et la performance des organisations.

Alors, la prochaine fois que vous sentez ce « pas de souci » prêt à sortir de votre bouche, demandez-vous : et si ma vraie contribution, c’était justement de poser une limite claire ?


Pour aller plus loin

  • Daniel Goleman – L’intelligence émotionnelle : comprendre l’impact des émotions et du stress sur la prise de décision.

  • Amy Edmondson – The Fearless Organization : la sécurité psychologique comme levier de performance collective.

  • Marshall B. Rosenberg – Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) : l’art d’exprimer ses besoins avec clarté et respect.

  • Christophe André – Imparfaits, libres et heureux : l’importance de l’affirmation de soi et de l’estime personnelle.

  • Martin Seligman – La force de l’optimisme : équilibre entre engagement et ressourcement.

  • William Ury – Getting to Yes with Yourself : apprendre à négocier d’abord avec soi-même avant de négocier avec les autres.


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